Contes et Légendes
La veillée des soirs d'hiver
En hiver, les paysans rentrent tôt au village car les jours sont courts et la nuit tombe vite. Les outils sont remisés, dans le champ la charrue est abandonnée et les bêtes sont mises à l'abri. Il ne faut pas s'attarder en chemin car on a peur de ces ténèbres qui sont l'univers des mazzeri (sorciers), des steghe (sorcières), des murtulaghji (revenants), des diavuli (diables) et autres démons.
On se hâte de rentrer au logis pour préparer la veillée qui rassemblera tout le monde autour de l'immense fucone.
Chaque soir, après avoir soupé, on se rend dans la maison d'un voisin, d'un parent ou d'un ami pour se joindre à la veillée (veghja) que chacun organise à son tour. L'atmosphère y est chaque fois différente car il y a toujours un conteur inspiré, un témoin auquel est survenu une aventure, un évènement à raconter... qui font vibrer ces heures dans la nuit noire.
Dans la grande salle faiblement éclairée, assis autour de l'âtre où brûle une grosse bûche, on se serre pour faire place au nouvel arrivant qui vient de frapper à la porte d'entrée. Mamone (grand-mère) a mis à rôtir dans le testu (poêle) une grosse poignée de châtaignes cueillies aujourd'hui et Babone (grand-père) a posé sur la table une bouteille de vin de sa vigne.
Malgré l'épaisse fumée qui nous pique les yeux, nous les enfants, silencieux, immobiles et sur nos gardes, évitant d'attirer l'attention des adultes de peur qu'ils ne nous envoient nous coucher, nous écoutons suspendus aux lèvres du conteur ces fole (histoires) qui pouvaient nous faire rire, pleurer, trembler ou rêver à volonté et que la nostalgie nous rappelle aujourd'hui...
Babone (grand-père) découpe avec patience l'erba a tabaccu (herbe à tabac) qu'il tient dans sa main, bourre lentement sa pipe, l'allume avec un tison, tire sa première bouffée et prononce les mots magiques: "C'era una volta..." (Il était une fois...)
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LA LEGENDE DE L'ARBOUSIER
L'ALBITRU
Le jour du nouvel an, en groupe, évitant par respect les maisons endeuillées, les enfants, munis parfois d'un rameau d'olivier, allaient de porte en porte souhaiter la bonne année: "Bon di e bon annù !". Leurs voeux étaient accompagnés en retour par des étrennes ( e strenne) que leur distribuait la maîtresse de maison; ce pouvait être des fruits (oranges, mandarines, figues, noix), des gâteaux secs (canistrelli) ou une pièce de monnaie (10 ou 20 centimes).
Après avoir frappé à la dernière porte et après s'être assurés que personne n'avait été oublié, ils se partageaient leur "récolte".
En Corse du Sud, les enfants faisaient leur tournée en déposant sur la table de la maison visitée, une petite branche d'albitru (arbousier), symbole de loyauté dont voici la légende.
Lorsqu'il fut vendu par Judas et poursuivi par les soldats, Jésus fut caché par un arbousier généreux, mais le traître scopa (bruyère), n'hésita pas à dénoncer son voisin l'arbousier et Jésus fut capturé.
Reconnaissant, Dieu bénît l'arbre charitable en le couvrant de fruits, et bannît la bruyère qui depuis ce temps là, fleurit sans jamais donner de fruits.
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L'ANIMA
L'AME
C'était un soir de novembre. Après trois ans de guerre, le soldat fatigué par une longue marche revenait en permission dans son pays. Il laissa ses pas le guider vers la place du village illuminée où des gens dansaient au son de l'accordéon.
Il se dirigea vers le bar confectionné d'une planche posée sur deux tréteaux et commanda une absinthe.
Tout en la savourant, il remarqua une jeune fille à l'autre bout de la piste. Elle se tenait immobile sous la lumière blafarde d'un lampadaire, elle était belle et elle avait l'air triste.
Au bout d'un long moment leurs regards se croisèrent. Il esquissa un sourire qu'elle lui rendit aussitôt. Alors, prenant son courage à deux mains, il traversa la foule pour la rejoindre. Timidement, ils se parlèrent:
Elle se prénommait Marie, il se nommait Thomas... puis il l'invita à danser.
Tandis qu'il la serrait maintenant dans ses bras, la nuit emportait au loin sa fatigue et la guerre. Elle était devenue son refuge et faisait naître en lui des sentiments qu'il avait oublié.
Ils dansaient ainsi, blottis l'un contre l'autre quand il eut soudain une sensation étrange qui le mit de plus en plus mal à l'aise. Sa joue, posée contre celle de Marie, lui communiquait une froideur inhabituelle. Elle avait les mains froides et de ses yeux des larmes coulaient. Il n'osa pas lui demander la raison de cette tristesse et sans un mot, avec tendresse, il recouvrit les épaules de la jeune fille de sa veste qu'il avait ôté.
Sur la place, quelques attardés prenaient un dernier verre. La fête était finie et il lui proposa de la raccompagner. D'abord, elle refusa, mais il insista et sur la route éclairée par la lune ils s'en allèrent jusqu'au bout du village où était sa maison.
Sur le pas de la porte, il lui dit qu'il voulait la revoir mais elle lui répondit que c'était impossible; il eut beau insister ce fut peine perdue. Elle voulut lui rendre sa veste mais il la pria de la garder et promit de venir la récupérer le lendemain. Sur un dernier signe de la main, Marie disparut.
Thomas, désespéré, anxieux, attendit un lendemain qui lui parut fort long. Quand il fut une heure raisonnable, il retourna à l'autre bout du village et sonna fébrilement à la porte de la maison derrière laquelle Marie avait disparu. Une vieille dame toute habillée de noir lui ouvrit; "comme elle ressemble à Marie !" pensa-t-il. Il s'excusa auprès de la vieille dame et lui dit qu'il voulait voir Marie car il lui avait prêté sa veste hier au soir au bal du village et voulait la récupérer.
La vieille dame le regarda étonnée, le pria d'entrer, le conduisit dans la salle où elle l'invita à s'asseoir. Elle lui demanda de décrire Marie; il en fit une si précise description qu'elle lui tendit d'une main tremblant un cadre qui contenait une photo jaunie.
Il reconnu immédiatement la jeune fille qu'il avait serré dans ses bras la veille. "C'est Marie, dit la vieille dame en étouffant ses sanglots, c'était ma fille mais elle est morte, cela fera bientôt treize ans !".
Thomas fut ébranlé par cette brutale révélation Un mélange d'incompréhension et de colère lui nouèrent l'estomac. Non, c'était impossible, il n'avait pas rêvé...
Soudain, il se souvint de cette sensation de mal-être, de cette impression de froideur quand il avait posé sa joue contre celle de Marie et une crainte indéfinissable le submergea. Devant son désarroi, la vieille dame lui prit doucement la main: "venez, lui dit-elle, nous allons voir Marie".
Quand ils arrivèrent au cimetière, il y avait sur la tombe de Marie une veste soigneusement pliée.
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